15

 

Emmaline le caressait avec douceur en chuchotant son nom. Le cauchemar, encore et toujours : jamais elle ne ferait une chose pareille, jamais elle ne chercherait à le réconforter. Il ne voyait qu’une brume rouge ; il ne sentait que les flammes qui venaient mourir sur sa peau. Depuis trois jours, il avait conscience de la présence de l’ennemi ; et voilà que l’ennemi se trouvait près de sa promise. Alors il attaqua.

Quand la brume se dissipa, il ne comprit rien à la scène qui lui apparut. Sa grande main se crispait peu à peu autour du cou d’Emma. Hoquetant, elle se débattait pour échapper à l’étranglement. Il n’eut pas le temps de réagir ; déjà, un vaisseau sanguin éclatait dans l’œil droit de sa promise.

Il la lâcha avec un cri et se jeta de l’autre côté du lit.

Elle tomba à genoux en toussant et en cherchant à reprendre haleine. Dès qu’il se précipita à la rescousse, elle recula, la main tendue pour l’empêcher d’approcher.

— Oh, mon Dieu, Emma, je ne voulais pas… J’ai senti quelque chose… Je t’ai prise pour un vampire.

— Je… je suis un vampire, balbutia-t-elle d’une voix rauque après une quinte de toux.

— Non, je croyais qu’il y en avait… un autre, un de ceux qui m’ont emprisonné. (Sans doute la morsure et le sang avaient-ils réveillé le cauchemar dans toute son horreur.) J’étais persuadé que c’était lui.

— Qui ?

— Demestriu, lâcha-t-il. (Il la serra contre lui, sans tenir compte de ses protestations.) Je n’ai jamais voulu te faire de mal. (Un frisson le secoua.) C’était un accident.

Mais il parlait dans le vide. Elle tremblait violemment, toujours aussi terrifiée.

Elle ne lui faisait pas confiance – elle ne lui avait jamais fait confiance –, et il venait de lui rappeler pourquoi.

 

 

Emma, qui surveillait Lachlain du coin de l’œil, le vit lâcher le volant pour tendre la main vers elle, une fois de plus… mais il serra le poing et le recula avant de l’avoir touchée. Ce n’était jamais que la énième fois depuis le départ.

Elle soupira, le visage pressé contre le verre froid, le regard tourné vers l’extérieur, même si, en fait, elle ne voyait rien.

Des émotions conflictuelles la déchiraient au point qu’elle se demandait comment prendre ce qui s’était passé.

L’incident proprement dit ne l’avait pas mise en colère. Elle avait eu la bêtise de toucher un Lycae endormi, en plein cauchemar, et elle l’avait payé. Elle regrettait juste d’avoir mal à la gorge, d’autant qu’il lui était impossible de prendre un cachet pour arranger les choses. Mais surtout, elle regrettait ce qu’elle venait d’apprendre sur Lachlain.

À un moment, elle s’était demandé s’il avait été capturé par la Horde, mais elle avait écarté cette hypothèse parce qu’il était impossible à un prisonnier d’échapper à la Horde, point. Ce n’était jamais arrivé ; pas une seule fois. La tante d’Emma, Myst, avait passé un certain temps dans les geôles d’une place forte vampirique, d’où elle s’était évadée, certes, mais uniquement quand les rebelles avaient pris le château… et qu’un de leurs généraux l’avait libérée pour lui faire la cour.

Lachlain dirigeant le clan des Lycae, Emma en avait déduit qu’il avait été victime d’un complot politique fomenté par les siens.

Alors qu’en réalité, il avait été mis aux fers par Demestriu, le plus puissant, le plus cruel des vampires. Et s’il fallait en croire ce qu’on racontait sur Furie, si elle subissait bel et bien la torture au fond de l’océan, qui savait ce que Demestriu avait infligé à Lachlain ? L’avait-il également noyé à répétition ? Ou peut-être enchaîné sous terre et enseveli vivant ?

Les vampires l’avaient torturé cent cinquante ans durant, avant qu’il ne réussisse l’impossible : s’évader.

Sans doute avait-il perdu la jambe dans l’aventure.

Emma n’imaginait même pas ses souffrances, tourments ininterrompus qui avaient culminé par une amputation…

Il n’était pas responsable de ce qui s’était produit cette nuit, bien qu’il se le reproche, à en juger par sa tristesse. Mais, sachant ce qu’elle savait à présent, elle lui en voulait de la retenir prisonnière. À quoi pensait-il, par Freyja ? Compte tenu de ce qu’il avait vécu, l’incident était inévitable. De toute manière, il aurait fini par piquer une crise de rage contre elle. D’ailleurs, peut-être recommencerait-il.

Sauf qu’il n’en était pas question, car rien ne prouvait qu’elle y survivrait. Et si elle y survivait, elle n’avait pas l’intention de raconter à ses amis qu’elle avait des bleus à la gorge et une étoile de sang autour de la pupille parce qu’elle s’était cognée dans une porte. Pourquoi la retenait-il prisonnière, hein ?

Pour se venger en la faisant souffrir.

Il la traitait comme un monstre. La méprisait comme tel. S’il continuait, elle finirait par se conduire comme tel… pour se défendre.

Ils arriveraient cette nuit même à Kinevane. Le lendemain, au crépuscule, elle s’en irait.

 

 

Appuyée contre la vitre, ses drôles de petits écouteurs dans les oreilles, Emma ne fredonnait pas cette nuit.

Lachlain avait envie de lui ôter ces machins pour lui présenter des excuses. Une honte brûlante le tenaillait – jamais il n’avait eu aussi honte – mais il avait peur qu’elle ne craque s’il lui retirait sa musique. Depuis qu’il s’était emparé d’elle, il l’avait mise à mal et terrorisée. Là, elle avait atteint ses limites.

Les réverbères éclairaient son visage… et les meurtrissures de sa gorge pâle. Il fit la grimace.

S’il ne s’était pas réveillé à ce moment-là, il aurait pu… il aurait pu la tuer. Le problème, c’était qu’il ne comprenait pas pourquoi il avait fait une chose pareille. Il ne pouvait donc garantir que cela ne se reproduirait pas… ni jurer qu’elle était en sécurité avec lui.

Un tintement de clochette le fit sursauter.

Emma se pencha vers le tableau de bord puis hocha la tête en regardant la jauge d’essence, où brillait maintenant une lumière rouge. Sans mot dire, elle montra du doigt la sortie suivante. Sans mot dire, car parler la faisait souffrir, évidemment.

Cramponné au volant, bouleversé, il se tortilla sur son siège. La voiture lui semblait à présent nettement trop petite pour lui. Il avait connu l’enfer, d’accord, mais comment avait-il pu essayer d’étrangler sa promise, quoi qu’il soit arrivé ? Alors qu’il avait passé sa vie à la chercher…

Alors qu’elle incarnait son salut…

Peu importait, qu’il ne l’ait pas faite sienne. S’il ne l’avait pas trouvée, s’il n’avait pas été près d’elle, si elle ne l’avait pas apaisé de sa voix douce et de ses petites mains, il traînerait en cet instant même dans une ruelle sordide, fou à lier.

Et, pour la remercier, il avait fait de sa vie à elle un enfer.

Au bout de la bretelle de décélération apparut l’enseigne d’une station-service. Lachlain s’y engagea puis se gara devant la pompe que lui indiquait sa compagne. À l’instant où il coupa le contact, elle retira les écouteurs de ses oreilles. Il ouvrit la bouche mais, sans lui laisser le temps de dire un mot, elle leva les yeux en soupirant, la main tendue, la paume en l’air. Sa carte de crédit. Il la lui donna, puis descendit de voiture avec elle afin d’apprendre à mettre de l’essence dans la voiture.

— Il faut qu’on discute de ce qui s’est passé, commença-t-il pendant qu’ils attendaient.

Elle agita la main.

— Oublié.

Sa voix contredisait cette affirmation ridicule. Son œil droit paraissait baigné de rouge à la lumière crue de la station. Il ne pouvait que se remettre en colère… et ne tenait pas spécialement à le cacher.

— Tu t’obstines à ne pas m’affronter… à ne pas me faire de reproches. Alors que tu as parfaitement le droit de me hurler après. Je ne comprends pas !

— Tu me demandes pourquoi je cherche à éviter le conflit, c’est ça ? s’enquit-elle tout bas.

— Exactement.

L’expression menaçante de son interlocutrice lui fit regretter ce qu’il venait de dire.

— J’en ai assez que tout le monde me reproche toujours la même chose ! Et voilà que quelqu’un qui ne me connaît même pas me le balance aussi ! (La voix cassée d’Emma gagnait en force sous l’effet de la colère.) La bonne question, c’est : pourquoi ne chercherais-je pas à éviter le conflit ? Tu en ferais autant si tu…

Elle s’interrompit et détourna les yeux.

Il lui posa la main sur l’épaule.

— Si quoi ?

Lorsque enfin elle se décida à le regarder en face, l’angoisse se reflétait sur son visage.

— Si tu perdais toujours. (Le front de Lachlain se plissa.) Tu sais ce que ça fait ?

— Non…

— Est-ce que j’ai gagné une seule fois contre toi ? (Elle haussa les épaules sous sa main.) Quand tu m’as enlevée ? Quand tu m’as obligée à accepter ce truc de dingues ? Quand tu m’as fait boire à tes veines ? Tu as été emprisonné par des vampires, et tu venais juste de t’échapper lorsque tu m’as rencontrée. Pourquoi, mais pourquoi tiens-tu tellement à ce que je t’accompagne ? Tu détestes les vampires… Tu m’as témoigné plus de répugnance en moins d’une semaine que je n’ai eu à en subir de toute ma vie, mais tu veux absolument que je reste avec toi. (Un rire amer lui échappa.) Tu as dû adorer les petites vengeances que tu t’es permises. Ça t’a excité de me rendre malade d’humiliation ? Ça t’a fait bander de m’insulter et de me fourrer la main sous la jupe la seconde d’après ? Et chaque fois que j’aurais pu m’en aller, tu as exigé ma présence, en sachant parfaitement que j’étais en danger. À cause de toi.

C’était vrai, Lachlain ne pouvait le nier. Il se passa la main sur le visage, le temps de tout assimiler. Les sentiments qu’elle lui inspirait avaient fini par se préciser, pendant que ceux qu’il lui inspirait étaient arrivés à ébullition. Il avait envie de lui dire qu’elle était son âme sœur, qu’il ne tenait pas à rester en sa compagnie dans le but de la faire souffrir… mais ce n’était pas possible, il ne pouvait le lui avouer maintenant.

— Tu fais comme tout le monde, tu me piétines allègrement, et après, tu ne jettes même pas un coup d’œil pour voir si je me relève. (La voix d’Emma se brisa sur les derniers mots, emplissant Lachlain de regrets ravageurs.) Bon, ben, je vais la fermer avant de trop m’énerver. Je ne voudrais pas t’offenser en versant des larmes répugnantes !

— Non, attends…

Elle claqua sa portière, visiblement surprise de sa propre force, puis s’éloigna de la voiture. Il la laissa partir, mais se déplaça légèrement pour ne pas la perdre de vue.

Après s’être effondrée sur un banc, près du magasin de la station, elle y resta assise un long moment, le front dans la main. Comme il finissait de remplir le réservoir, une curieuse bourrasque froide balaya les lieux, chargée d’une bruine fine. Une fleur s’écrasa contre le genou d’Emma. Elle s’en empara, la porta à ses narines, puis la jeta rageusement par terre.

Lachlain réalisa alors qu’elle n’en avait jamais vu s’épanouir au soleil. Son cœur se serra sous l’effet d’une émotion si étrangère qu’il se sentit bouleversé.

Leurs problèmes n’avaient rien à voir avec le fait que la vie se soit trompée d’âme sœur en ce qui le concernait ; l’ennui, c’était qu’il ne parvenait pas à s’adapter, lui.

Trois vampires apparurent à côté d’Emma, surgis de nulle part.

Ils allaient la lui enlever à jamais !

En un éclair, il comprit qu’il lui fallait la laisser rejoindre sa famille, la libérer de la haine et de la douleur qui le taraudaient. Tout à l’heure, à l’hôtel, quand il l’avait attrapée par le cou, elle l’avait fixé d’un regard suppliant. Elle s’était dit qu’il allait la tuer. Il l’aurait pu si facilement.

Elle considéra les nouveaux venus, bouche bée, visiblement saisie. Pourtant, les vampires se déplaçaient toujours de cette manière…

Quelque chose clochait ! Voilà pourquoi Lachlain bondit par-dessus la voiture. Les arrivants se tournèrent vers lui. Le plus imposant était… un démon ?… Un démon transformé en vampire ?

— N’approche pas, Lycae, ou tu es mort, prévint l’un des deux autres.

Lorsque Lachlain se rua vers Emma, il se produisit quelque chose de franchement bizarre.

Elle s’élança vers lui en criant son nom.

Morsure Secrète
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